jeudi 17 mai 2018

ARSULE - interview mai 2018

Un vent nouveau souffle sur la scène Ambiant/Dungeon en France et amène avec lui son lot de surprises parmi lesquelles on retrouve ARSULE : un projet teinté de romantisme que nous présente Marine, créatrice d'ambiance à l'âme passionnée... 

Bonjour Marine, tu es une nouvelle venue dans la scène Dungeon Synth mais à l'écoute de ton premier jet, je n'ai pas eu l'impression que tu étais si novice que ça. Parle-nous un peu de ton parcours musical. ? Quels sont les groupes qui t'ont donné envie de te lancer dans ce style si atypique ? 

D’abord, merci beaucoup. Et pourtant ! Je suis assez novice en musique, je n’ai pas vraiment de connaissances en solfège et je n’ai jamais été capable de jouer d’un instrument. J’ai essayé la guitare il y a longtemps, mais je n’étais pas régulière, je ne prenais pas de plaisir, je voulais tout de suite pouvoir composer mes propres morceaux. J’ai très vite abandonné. La voie par laquelle j’ai été amenée e à faire de la musique est bien plus tortueuse. Quand j’étais adolescente, je faisais partie de la communauté making, qui rassemblait divers créateurs de jeux-vidéos type rpg old school (grâce au logiciel rpg maker). Je suis tombée amoureuse de deux jeux amateurs « Caves » et « Shadows of the sun », réalisés par deux frères, Valv et Pagno. Je ne saurais que conseiller ces jeux au charme sans égal. Ils faisaient tout eux même, et j’ai appris que la musique avait été également réalisée par leurs soins grâce à un petit logiciel MIDI. Plusieurs années plus tard, j’ai téléchargé ce logiciel et j’ai commencé à composer des mélodies dessus. Ça sonnait très vieux jeu-vidéo mais rien de bien fameux. J’ai fait une pause de plusieurs années avant de m’y remettre l’été dernier pour composer des morceaux un peu plus aboutis. J’ai découvert le dungeon synth dans la foulée avec Fief. Pour être honnête je ne connais pas grand chose en dungeon synth, ça fait environ un mois que je commence à me forger une culture dans le domaine.

Mon plus gros coup de coeur revient à Lunar Womb avec « The Sleeping Green ». C'est de la magie à mes oreilles. Beaucoup de groupes m’inspirent, et pas forcément dans le dungeon synth. Je peux notamment citer Dead Can Dance, Coil et Dvar. Un trio hétéroclite à la discographie monstrueuse ! Je ne m’inspire jamais directement d’un artiste, je subis diverses influences plus ou moins conscientes et mon cerveau infuse tout ça avant de le faire ressortir par un médium artistique. 

Celui qui m’a véritablement amenée au dungeon synth c’est Stuurm, le fondateur du projet Gargoylium. Je lui dois beaucoup. Je l’ai rencontré il y a trois mois environs, je lui avais fait écouté les petits sons que j’avais bidouillé et il a tout de suite décelé un potentiel. Il m’a encouragée à persévérer et à passer à un logiciel plus pro. C’est à partir de ce moment que j’ai vraiment commencé à faire de la musique. Je n’aurais jamais fait tout ça sans lui, il a vraiment été l’élément déclencheur. Tout a été très rapide ensuite. J’ai voulu me mettre au dungeon synth, car avant ma musique était un peu « bâtarde » et peu recherchée. J’ai fait une piste « test » après avoir analysé un morceau de Fief, histoire d’ingurgiter un peu les codes du genre. Et puis suite à ça « La Cité Enfouie » est née. J’ai d’ailleurs du mal à réaliser que je suis vraiment l’auteure de cet album, tellement c’est allé vite. 

Musicalement, dès qu'on écoute "la Cité Enfouie", il y a quelque chose de "frais", de "neuf", que je ne parvenais pas à définir par rapport aux autres oeuvres lambda du style... et puis je me suis dit, est-ce que ce serait une touche féminine ce petit + ? Comment définirais-tu ta musique à quelqu'un qui n'a jamais écouté Arsule ? 

Merci, encore une fois. Je reconnais que ça sort un peu de ce qu’on peut entendre habituellement, du moins tu n’es pas le premier à le dire. Ce n’est pas impossible que ce soit dû à une touche féminine. C’est vrai que les femmes dans le dungeon synth sont une espèce rare. D’ailleurs j’aimerais beaucoup qu’elles soient mieux représentées ! Mais bizarrement, quand je crée, je ne me sens ni femme, ni homme, je suis simplement envahie par l’énergie créatrice, qui elle n’a pas de genre. J’oublie qui je suis, pour paradoxalement produire quelque chose de profondément marqué par mon ADN. Je pense aussi qu’il y a plus de différences de sensibilité d’un individu à l’autre qu’entre les homme et les femmes en général. Je crois bien que ma méconnaissance du dungeon synth m’a aidée à créer quelque chose d’un peu différent. Je n’en ai toujours fait qu’à ma tête dans tous les domaines artistiques (je dessine également, j’écris et je travaille le cuir, entre autre). J’ai toujours eu une volonté de m’affranchir des codes, je n’aime pas les cases, c’est enfermant. Et il y a une bonne raison à ça, c’est que les codes m’échappent la plupart du temps, j’ai du mal à les comprendre et à les appliquer correctement. Je sais bien que je prends les choses dans le mauvais sens, il faut déjà maîtriser les codes pour mieux s’en affranchir. Mais je n’ai jamais pu m’empêcher de brûler des étapes et je m’adonne à la création sans concessions. Je vais faire un parallèle avec le cinéma. Je ne peux qu’admirer Orson Welles, qui, avec son premier chef d’œuvre Citizen Kane, a révolutionné le cinéma en étant le premier à utiliser certains plans. Il a simplement expliqué que dans ses débuts, il méconnaissait la technique, et que pour lui une caméra devait pouvoir faire ça. Alors il l’a fait. 

Arsule n’est pas un projet défini. Je n’ai même pas encore déterminé les limites de mon univers. Entre « La Cité Enfouie », « L’amour est morte » et « Le cortège dans la brume », il y a un gouffre. Et mon prochain album sera encore différent. Mais je peux essayer de définir le style de « La Cité Enfouie », puisque c’est ce qui est le plus apprécié en général et aussi le plus accessible. D’abord c’est du dungeon synth, un genre musical né du black metal que j’explique souvent ainsi aux novices : ça ressemble à de la musique de jeu-vidéo old school avec des influences médiévales et des synthétiseurs. « La Cité Enfouie » a toutes les caractéristiques d’un premier album, authentique, naïf et généreux. J’espère d’ailleurs que ma musique va gagner en maturité au fil du temps. Ce que l’on peut remarquer dans cet album ce sont des mélodies fortes et entraînantes, des rythmes presque tribaux et des ambiances riches en images. Chaque piste évoque un lieu ou un acte et possède son identité propre, même s’il demeure une unité un peu miraculeuse que l’on peut attribuer à une sorte d’aura mystique. Pour être honnête je me sens très détachée de tout ce que je crée, mais ça ne me rend pas objective pour autant. Certains jours je trouve ça bon, d’autre fois ça ne me plaît plus. 

Parle-nous un peu du thème derrière la cité enfouie. Dans quels décors voudrais-tu emmener tes auditeurs ? 

J’ai toujours été fascinée par les grottes. L’idée d’une cité antique enfouie dans les tréfonds d’une caverne relève d’un romantisme certain. La grotte est un lieu terriblement mystérieux et spirituel. Elle est cachée et semble nous rapprocher des profondeurs de la Terre. Ses décors baroques sculptés par la Nature durant des millénaires nous invitent à découvrir un autre monde, hors du temps et hors du réel. Dès la Préhistoire, on y pratiquait l’art. On pense évidemment aux peintures rupestres. Mais nul doute que la réverbération naturelle qu’elle peut offrir, laissait place à une musique primitive, probablement tournée vers le divin. La grotte est également la métaphore de notre être intérieur. Aussi, selon moi il y a une mise en abîme dans cet album. Écouter de la musique a toujours été une activité très personnelle pour moi, je vis la musique. Et le fait de ne pas être capable de partager ce vécu m’attriste. J’ai voulu un album que l’on puisse écouter de façon intime, afin que l’auditeur voyage dans son monde intérieur. Les titres évoquent des lieux mais c’est à chacun de les recréer dans son cinéma mental. L’album est une exploration, une traversée empreinte de rêveries romantiques, mais aussi une métaphore de l’introspection.


Il y a également des références à l’Antiquité grecque, période qui a tendance à exercer une certaine fascination sur moi…

Les deux premiers morceaux préparent au périple. « La source » est la raison de partir, elle évoque plus des sentiments mêlés, partagés entre la lumière et la mélancolie, qu’un lieu à proprement parler. « La procession des Hauts Flambeaux » est le rituel nocturne qui vous amène à découvrir la cité enfouie. « Les portes » sont imposantes, elles sont bien postérieures à la cité, elles avertissent et dissuadent. Je les vois comme les portes d’une immense cathédrale. « L’allée du peuple pétrifié » est une allée de statue qui fait référence à Méduse. On ne sait pas trop ce qui s’y est produit, c’était il y a si longtemps ! Je pourrais déblatérer encore longtemps mais je crois que je vais m’arrêter là, car c’est à chacun d’imaginer la suite. J’aimerais que ça reste propre à chacun.

Arsule est un nom qui me dit vaguement quelque chose... étant bibliothécaire j'ai juste le souvenir qu'il s'agit d'un personnage du roman "Regain" de Giono, est-ce là ton inspiration ? Je me trompe peut-être... 

C’est bien la bonne référence ! Tu es probablement le seul à connaître. J’ai appris que c’était aussi un prénom indien. J’ai choisi ce nom car je voulais quelque chose qui n’évoque pas grand chose, si ce ne sont des sonorités un peu brutes et proches de la terre. Pour moi Arsule pourrait très bien être le nom d’une sorcière (et ça me plaît). Cette absence de référence à l’imaginaire collectif me permet plus de libertés. Je peux élargir mon monde comme je le souhaite. Sinon j’ai adoré « Regain », c’est l’un des livres que j’ai le plus aimé lire. C’est la poésie du monde rural, une perle brute et méconnue. On ne peut pas faire plus authentique que ça et en même temps c’est de la grande littérature ! Le personnage d’Arsule est très attachant. Elle représente un idéal de féminité pour moi. Je ne parle pas de la « féminité de consommation » que l’on nous martèle à tous les niveaux de la société. 

On n'est pas fan de Dungeon Synth sans aimer la fantasy... Que lis-tu en ce moment ? Cite-nous trois livres que tu recommandes chaudement à nos lecteurs. 

Alors malheureusement je vais te décevoir… J’aime la Fantasy mais je n’en lis pas. J’avais beaucoup aimé le Silmarillon tout de même, mais c’est peut-être le seul ouvrage du style que j’ai dû lire. Ah si, j’ai lu une partie des Annales du Disque Monde de Terry Pratchett, un délice ! Je lis très peu et pourtant j’aime au plus haut point la littérature. J’aime particulièrement les belles lettres. Ça risque de choquer mais j’ai l’impression que dans la Fantasy, l’aventure prône sur la littérature. Je suis très admirative des styles de Flaubert et de Proust. Flaubert retranscrit des ambiances avec une précision impressionnante, aucun mot n’est laissé au hasard. On s’y croirait ! Et en même temps il y a toujours une double lecture, une portée symbolique. Proust est plus difficile à suivre mais quand on y parvient, quelle expérience extraordinaire ! Il a ce don de plonger au plus profond des émotions humaines. Il a cette sensibilité exacerbée qu’il parvient à exprimer avec des mots, c’est assez incroyable. 

Je vais quand même conseiller trois livres : « Regain » de Jean Giono, « L’âge de raison » de Jean-Paul Sartre et « L’étranger » d’Albert Camus. 

La scène française de Dungeon commence à devenir une petite famille bien remplie, où on a l'impression que tout le monde s'entraide sans fausse retenue. Katabaz records compte d'ailleurs sortir une compilation des meilleurs groupes en France, y participeras-tu ? 

Oui, c’est une communauté bienveillante et j’aimerais participer activement à soutenir les autres projets. Il y a beaucoup de gens talentueux dans le dungeon synth français. Et oui, bien sûr je vais participer à la compilation de Katabaz Records, avec « La source ». Je suis très honorée de pouvoir en faire partie en dépit du fait que je viens tout juste de débarquer. Je trouve que c’est une superbe initiative ! 

Si ce n'est trop privé, peux-tu nous parler de ta philosophie de vie ? Quels sont les choses auxquelles tu crois et qui te portent dans la vie de tous les jours ? 

C’est une question compliquée pour moi. Tout ce que je vais dire est susceptible de changer avec le temps. Je n’ai pas clairement établi de philosophie de vie. À 25 ans, il serait peut-être temps de m’y mettre ! Ce qui me porte c’est l’intensité, autant dans les relations humaines que dans l’expression artistique. Je crois que je cherche toujours à fuir un monde qui m’attriste profondément. J’ai envie d’être émerveillée et stimulée, j’ai soif de découverte et d’aventure. Mais avec le temps, j’ai perdu tout ça au profit d’une sorte de résignation mélancolique. Jusqu’à il y a peu, je me sentais vide, morne, et sans consistance. Je me suis endormie comme un volcan, mais ça bouillonne toujours en profondeur. J’attends encore d’être réveillée, même si ça va un peu mieux depuis que je fais de la musique. Je suis une personne très rationnelle à la base, je ne crois pas en grand chose. Je crois qu’on a pas d’autre choix que de composer avec la réalité qui nous est offerte. Mais avec le temps je deviens moins raisonnable et je donne plus d'importance à mes fantasmes. L’esprit humain me fascine, dans tous ses extrêmes et dans toute sa splendeur. J’aime les choses qui nous échappent, tout ce qui dépend de la perception et de l’inconscient. Je suis extrêmement sensible aux atmosphère des lieux et de la vie qui s’y trouve. J’aime autant la recherche de la vérité que le voile de mystère qui demeure sur les choses inexplicables, ça laisse de la place à l’imagination. J’aime bien me dire que tout fonctionne à la façon d'écosystèmes enchevêtrées les uns aux autres. Je crois également qu'il y a une forme de magie dans la matière. 

Avec "le cortège dans la brume", ta dernière réalisation, on a senti un retour aux sources "volontaire" vers un Dungeon Synth des origines que ne renierait pas Mortiis et autre Depressive Silence. Faut-il y voir un one-shot ou une inspiration pour de futures réalisations ? 

Oh, c'est très flatteur, merci. Pour l'instant il s'agit d'un one-shot. L'album que je prépare sera dans une veine très médiévale, donc rien à voir. Mais j'ai quand même l'intention de me replonger dans les origines du genre, dans un avenir plus ou moins proche. 

Apparemment, certains lecteurs aiment bien quand je fais ce quizz ... (attention, un seul joker !) 

1. Mortiis ou Erang ? Pour être honnête j’ai de l’admiration pour les deux mais je n’en vénère aucun. Pour l’un comme pour l’autre, je sais que c’est du bon, mais ce n’est pas entièrement ma came. Quoi que ça dépend des albums et je suis loin d’avoir tout écouté. Mortiis est un pionnier mais j’ai quand même une préférence pour l’univers d’Erang, qui me semble plus ouvert. Il a une nostalgie qui me touche et j’aime son esprit ;

2. Elfes ou nains ? Nains, car ils habitent dans des cavernes et que les elfes sont trop propres sur eux ;

3. Bières belges ou françaises ? Belge sans aucun doute, quoi que la France se défend bien. Par contre je suis également amatrice de vin rouge, domaine où la France excelle plus que nul autre, pardon pour nos amis belges ;

4. Les mondes engloutis ou les cités d'or ? 
(remarque que les deux ensemble se rapprochent du titre de ton album) ?
Oui, ce n’est pas un fantasme qui m’appartient, je n’ai rien inventé, haha. Je dirais les cités d’or puisque je ne connais pas les mondes engloutis. (Remarque, ce n’est pas de ma génération !)  ;

5. Tolkien ou Moorcock ? Tolkien. Je l’admire beaucoup pour avoir créé un univers immense et complexe au point d’avoir inventé des langues. C’est un écrivain total, un génie qui mérite amplement tout le respect qu’on lui voue ;

6. Baudelaire ou Rimbaud ? Joker ! Les deux sont des bêtes de poésie que la Terre a rarement eu l’occasion d’enfanter. Ils sont très différents mais en placer aucun au dessus de l’autre serait un crime. Rimbaud détient un charme inégalable quand Baudelaire détient les clefs de la beauté ; 

7. Romantisme ou Fantasy ? Je sais que peu sont d’accord avec moi, mais romantisme, sans hésiter. Globalement les fantasmes romantiques sont aussi mes fantasmes. 

Les derniers mots sont pour toi... 

Que dire d'autre sinon un grand merci ! Tes questions étaient vraiment pertinentes et c'était un plaisir d'y répondre. Merci également de me laisser l’opportunité de clore cette interview. J'espère que quelques vaillantes âmes auront trouvé le courage de lire jusqu'au bout malgré une longueur conséquente. Après relecture je trouve un peu dommage de voir autant de vanité dans mes réponses, mais tant pis, je vais laisser comme ça. Ça va ça vient.

Je voulais aussi remercier la communauté dungeon synth de France (et du monde). C’est un milieu très accueillant et bienveillant. Étant novice et de sexe féminin (deux potentiels handicaps pour m’intégrer), je n’ai ressenti aucune réserve à mon égard. Les gens s’entraident. J’ai été surprise de voir à quel point la mentalité était bonne ! Un point très appréciable que je ne pourrais malheureusement pas accorder au milieu black metal dans son ensemble. Bon, je me suis assez exprimée. Je finirai par ces simples mots : Longue vie au dungeon synth de France et d’ailleurs !


Lien bandcamp :
https://arsule.bandcamp.com/ 


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